Age d’or

 

Et d’Arienzo réinventa le rythme de la danse. (Clint Rauscher)

 


Musiciens - Paroliers - Chanteurs - Danseurs


 

S’étendant de 1935 (mort de Carlos Gardel) à 1955 (chute de Perón, retour des militaires au pouvoir, Piazzolla revient à Buenos Aires et révolutionne la musique), l’expression « edad de oro » désigne une période de faste pour le tango et de prospérité pour le pays. Pendant la seconde guerre mondiale l’Argentine s’enrichit car elle devient, loin des fronts, le grenier de l’Europe en guerre. Le travail abonde d’autant plus que, les produits n’arrivant plus de l’étranger, il faut tout fabriquer sur place. Sur le plan politique, le pays est plus chaotique. Après une dictature militaire jusqu’en 1943, Juan Perón arrive au pouvoir ; élu par les classes populaires, il mène une politique en leur faveur.

Bal à Buenos airesBal à Buenos airesLa musique se tourne de nouveau vers la danse. Il existe jusqu’à six cents orchestres à Buenos Aires. Le sexteto típico laisse place à l’orquesta típica, grande formation aux nombreux musiciens : l’ensemble le plus répandu comprend 4 ou 5 bandonéons et autant de violons (jusqu’à 8 chez di Sarli), une contrebasse et un piano. Le chanteur y prend sa place comme un instrument à part entière, donnant parfois de la voix depuis la ligne des violons, avant d’évoluer chez Troilo pour se placer en avant et devenir el cantor de la orquesta. Une évolution essentielle se produit à partir de 1940 : la mélodie prend le pas sur le rythme, le style salón sur le style milonguero. Les années 50 sont, musicalement, la période de tous les excès.

Le tango se trouve à son apogée. Il est massivement populaire, en particulier suite au relais des médias. Les lieux de bal se multiplient (plus d’une centaine chaque dimanche) et on y invente la cortina. Le cinéma se tourne vers le tango pour le raconter mais aussi pour en faire des bandes originales. C’est dans les années 40 que la musique, les paroles et la danse commencent à former dans l’esprit des tangueros un tout indissociable.

Au niveau de la danse, à partir des années 1935-40 les partenaires dansent de plus en plus serrés. La femme se met à danser en face de l’homme, ce qui rend nécessaire l’apparition du croisé. Vers la fin des années 40, les pieds décollent du plancher de la salle de bal, les ganchos et les boleos s’installent.

Le tango qui s’est répandu dans le monde entier, s’installe et prend dans ses principaux pays d’élection (la Finlande, les U.S.A., le Canada, le Japon) des formes locales particulières.

Le tango dit « musette » que l’on danse en France à partir des années 1930 est un lointain cousin de celui du Río de la Plata, et se trouve pratiqué parmi d’autres danses, sans prééminence dans la structure du bal. C’est essentiellement une marche simple entrecoupée de figures rigidement prédéfinies. On retrouve aussi une importante différence musicale : le tango rioplatense est plutôt mélancolique alors qu’en musette le rythme est assez sautillant et le sentiment plus gai. L’instrumentation bien sûr est modifiée, l’accordéon remplace le bandonéon. Dès les années 20 le tango marque profondément la chanson française. Jacques Brel en écrit de magnifiques. Charles Aznavour, quand il met des paroles en musique, le fait presque toujours sur un rythme de tango ; son travail ensuite est de dissimuler ce fond.

 

Le siège de la SADAIC après sa créationLe siège de la SADAIC après sa créationCompositeurs, chefs d’orchestre et musiciens

Le nom des quatre grands est en italique.

  • Rodolfo Biagi (« Manos brujas », pianiste, 1906-1969) met le piano en avant dans l’orquesta típica. Dans un style épuré, il accentue systématiquement les temps faibles, inventant avec d'Arienzo le style milonguero.
  • Miguel Caló (bandonéoniste, 1907-1972), au-delà de son talent personnel (son tango mélodique est particulièrement dansant), a révélé dans son orchestre Las Estrellas celui de nombreux chanteurs et instrumentistes.
  • Ángel d’Agostino (pianiste, 1900-1991) connaît ses meilleures années lors de sa collaboration avec le chanteur Ángel Vargas (« el orquesta de los Angeles »). C’est par ailleurs l’un des rares chefs d’orchestre à être aussi un danseur, ce qui se sent dans sa musique.
  • Juan d’Arienzo (« El Rey del Compás », violoniste, 1900-1976) accélère et marque fortement le rythme en le simplifiant et en appuyant chaque temps. Avec lui le tango redevient une musique sur laquelle on danse. Le violon très sentimental adoucit une certaine sécheresse. « Le tango, c’est avant tout du rythme, du nerf, de la force et du caractère […] La voix humaine doit être un instrument supplémentaire de l’orchestre, et rien de plus. »
  • Alfredo de Angelis (« El Colorado », pianiste, 1910-1992), très attentif aux besoins des danseurs, revient aux fondamentaux de la guardia vieja. Il donne dans le même temps une place très importante aux violons et aux chanteurs.
  • Lucio Demare (pianiste, 1906-1974) crée au piano un climat intimiste facilement identifiable. Il compose Malena.
  • Carlos di Sarli (« El Señor del Tango », « El de Bahía Blanca », « El Mufa », « El Tuerto », pianiste, 1903-1960) est un de ceux que les danseurs préfèrent tant son rythme est ancré et les ancre dans le sol. Il place les violons au premier plan pour donner du lyrisme, du sentiment. Sur un tempo assez lent, les violons et les bandonéons jouent souvent à l’unisson, sans solo. Il remet au goût du jour des morceaux anciens, surtout valses et milongas. On l’entend beaucoup dans les cours de tango.
  • Enrique Mario Francini (violoniste, 1916-1978) et Armando Pontier (bandonéoniste, 1917-1983) créent un orchestre sous leurs deux noms.
  • Osmar Maderna (pianiste, 1918-1951) développe un style symphonique avant de mourir jeune dans un stupide accident d’avion.
  • Sebastián Piana (pianiste, 1903-1994) est avant tout un compositeur (Milonga del 900, Milonga triste, Tinta roja, Silbando)
  • Osvaldo Pugliese (« Don Osvaldo », « El Maestro », « El Antimufa », « San Pugliese », pianiste, 1905-1995) recherche dans un tango plein d’élans sensuels, puissants et passionnés l’équilibre, voire l’osmose, entre rythme et mélodie. Son style, expérimental, est plein de ruptures à tous les niveaux (tempo, harmonie,…). D’une certaine manière, on peut dire qu’il pousse à son extrême le style milonguero de Biagi et d’Arienzo, mais en l’articulant sur un rythme déséquilibré qu’il nomme yumba (prononcé shoumm-ba), « une sorte de halètement profond qui, porté par les bandonéons, soulève l’ensemble de l’orchestre dans un mouvement d’une grande ampleur » (Pierre Monette). Il aimait à citer son père, musicien amateur, qui lui disait : « Regarde les pieds des danseurs, s'ils ne te suivent pas, c'est toi qui te trompes ! » Communiste, il dirige son orchestre comme une coopérative où les revenus sont redistribués à chaque musicien-associé (lui-même inclus) au pro-rata du travail effectué. Quand il lui arrive d’être emprisonné pour ses idées (sous tous les régimes politiques), il demande à ses musiciens de jouer quand même et ils déposent un œillet rouge sur le clavier de son piano.
  • Même s’il débute à l’époque de la guardia nueva, Florindo Sassone (violoniste, 1912-1982) ne connaît le succès (et n’est enregistré) qu’à partir de la fin des années 40.
  • Ricardo Tanturi (« El Caballero del Tango », pianiste, 1905-1973) met en valeur ses chanteurs, en particulier Alberto Castillo. Il propose un tango milonguero simple, entraînant et agréable à danser.
  • Aníbal Troilo (« El Gordo », « Pichuco », bandonéoniste, 1914-1975) représente pour certains la quintessence du tango. Il simplifie les arrangements afin de faciliter la danse. Et en même temps il complexifie la structure, brouillant les limites entre phrases rythmiques et mélodiques (il embauche le jeune Piazzolla). Il réussit à allier la sensualité de la danse, le plaisir de l’écoute musicale et la poésie des paroles. On peut aller jusqu’à dire qu’il a inventé « le chanteur d’orchestre », tant il accorde d’importance aux siens, qu’il choisit avec soin. Sa date de naissance est le Jour du bandonéon en Argentine.Aníbal TroiloAníbal Troilo

 

Paroliers/Poètes

  • Cátulo Castillo (pianiste, chef d’orchestre, 1906-1975) est l’auteur de La Última Curda, Silbando, Tinta roja et Organito de la tarde écrit avec son père, l’anarchiste José González Castillo (1885-1937), à qui l’on doit aussi les paroles de Griseta.
  • Julián Centeya (Amleto Enrique Vergiati, « El Hombre gris de Buenos Aires », 1910-1974) est un poète reconnu entre autres pour ses textes en lunfardo (Boedo, Lluvia de abril). Il épousa la sœur de Nelly Omar.
  • José María Contursi (1911-1972), fils de Pascual, d’une veine sentimentale affirmée, est l’un des paroliers les plus prolifiques du tango (Gricel, Milonga de mis Amores, Verdemar)
  • Homero Expósito (« Mimo », 1918-1987), homme d’une grande culture littéraire, renouvelle la poésie du tango par un usage puissant de la métaphore (Percal, Azabache, Tristezas de la calle Corrientes). Il fait ressentir l’anonymat de la ville moderne, où les quartiers anciens n’existent qu’à l’état de souvenirs.
  • Homero Manzi (Homero Manzione, 1907-1951) est le poète du peuple dont il conte les histoires en contournant les clichés et en évitant le lunfardo. Il peint des paysages urbains (Barrio de tango, Sur, Milonga sentimental, Milonga del 900, Milonga triste, Paisaje, Desde el alma). Il est aussi un grand portraitiste (Malena).

 

Chanteur.se.s

  • Carlos Acuña (1915-1999) a étudié le chant avec de grands maîtres de l’art lyrique et cela s’entend.
  • Raul Berón (ténor/baryton, 1920-1982) apparaît comme un « descendant » de Gardel.
  • Alberto Castillo (« El Corazón que canta », « El Cantor de los cien barrios porteños », ténor, 1914-2002) chante avec une gestuelle très spectaculaire et beaucoup d’inflexions expressives. Il incarne le gars du faubourg, gouailleur et bagarreur au cœur tendre. Il essaie également de remettre au goût du jour le candombe et les racines noires du tango. Gynécologue réputé, il avait tourné le dos à une vie bourgeoise facile pour s’engager dans une carrière de chanteur.
  • Hugo del Carril (baryton, 1912-1989) travaille en particulier avec l’orchestre d’Edgardo Donato. Il est aussi, et peut-être surtout, acteur de cinéma et réalisateur (Las Aguas Bajan Turbias, 1952).
  • Nelly Omar (1911-2013) est considérée par beaucoup comme la chanteuse de tango par excellence.
  • Alberto Podestá (« El Gordonito », 1924-2015) chanta au sein d’orchestres de douze ans jusqu’à la fin de sa vie.
  • Edmundo Rivero (« El Feo », baryton-basse, 1911-1986) met longtemps à percer car sa voix est jugée trop grave pour le tango, mais il sait prendre, tout en restant classique et inimitable, le tournant du nuevo tango. C’est l’un des maîtres du fraseo.
  • Roberto Rufino (« El Pibe del Abasto », « El Pibe Terremoto », baryton, 1922-1999) fait une carrière de soliste mais chanta aussi avec tous les grands orchestres. Il exprime avec force les sentiments romantiques.
  • Julio Sosa (« El Varón del tango », baryton, 1926-1964) atteint presque la gloire de Gardel.
  • Ángel Vargas (« El Ruiseñor de las calles porteñas », 1904-1959) a chanté principalement avec Ángel d’Agostino.
  • Jorge Vidal (« El Negro », 1924-2010) mène une arrière de soliste après une année passée chez Osvaldo Pugliese.

 

Nelly OmarNelly Omar

 

Danseur.se.s

  • Gloria (1946-) & Eduardo (1936-) Arquimbau se sont connus dès l’enfance. Adeptes du tango salón, « au sol », ils ont fêté en 2010 leurs cinquante ans de carrière.
  • Osvaldo (« Pies de miel », 1938-2015) et Coca (Luisa Inés Anaclerio, 1938-) Cartery pratiquent un tango milonguero apparemment très simple et dénué d’artifices, mais dont la technicité, la musicalité et la malice leur ont valu d’être champions du monde de tango salón à plus de 65 ans.
  • El Chino Perico (Ricardo Ponce, 1931-), un des derniers vieux milongueros, n’est jamais sorti de Buenos Aires. Il danse lentement, avec compás, élégance et de longues pauses, considérant que « chaque tango est un morceau de vie qui se danse ».
  • Virulazo (Jorge Martín Orcaizaguirre, 1926-1990) & Elvira (Elvira Santamaría, 1929-1999), adeptes du tango fantaisie, ont participé à des spectacles autour du monde (« Le plus bel endroit, c’est l’avion du retour. ») et ont créé une école de danse gratuite.
Free Joomla templates by Ltheme